La création artistique est-elle vouée à disparaître?

La littérature en danger?

Le premier article qui m’a relancé sur cette interrogation vient du Blog de Korben.

Il évoque le cas de Lucia Etxebarria (lauréate de 2 prix littéraires tout de même) qui a annoncé dernièrement qu’elle souhaitait mettre un terme à sa carrière à cause du piratage trop important.

En effet, se basant on son statut de star en Espagne, la dame n’a pas supporté que sa dernière œuvre n’ai pas trouvé son public (a priori, chiffres de ventes très décevants).

Ni une, ni deux, le coupable était tout trouvé: le vilain pirate!!

Il semblerai qu’elle ait eu accès au nombre de téléchargements de son bouquin (El contenido del silencio, au passage) et que cela puisse être la raison de l’insuffisance des ventes papier.

Voilà pourquoi, Lucia Extébarria a décidé de se retirer de la vie littéraire espagnole avec cette phrase: "Je ne veux pas passer 3 ans à travailler comme un noir pour ça."

(je vous passe ce trait d’esprit sans égal...)


Donc conclusion: le piratage tue la création!

Mince, ce n’était pas tout à fait mon idée de départ.... ça tombe mal...

Pour autant, je ne suis pas tellement convaincu, et la lecture de la suite de l’article de Korben va aller dans le sens que je défends, à mon petit niveau, lorsqu’il s’agit du sujet de la création.

Déjà, selon moi, il ne faut pas confondre création et rémunération des droits d’auteur (mais j’y reviendrai plus tard).

Pour revenir au billet de Korben, que je vous invite à lire pour vous faire votre avis, les 3 points principaux que je retiens et que je défends sont les suivants (je vais un peu paraphraser l’article original):

  1. Le livre n’est pas sorti en format électronique alors que les tablettes et autre liseuses ont le vent en poupe. Ce choix commercial semble discutable.

    Quand on acquiert ce type de dispositif et qu’on est lecteur, si on ne trouve pas l’œuvre dans le format adéquat de façon légale, malheureusement l’option qui reste est de le trouver sur des plateformes illégales

  1. Un livre a un coût; en Espagne la crise a frappé les ménages de plein fouet (chez nous aussi mais pas au même point je pense, du moins pas encore) donc la priorité des espagnols n’est peut-être pas d’investir dans des biens culturels.

  2. Peut-être tout simplement que le livre n’est pas bon

Donc mon point de vue initial n’est pas complètement à mettre à la corbeille.


Ah, donc c’est le cinéma qui est en danger?

Ensuite un autre article a attiré mon attention.

Dans un contexte où on ne cesse de répéter que le piratage est un fléau et qu’il conduit inexorablement au déclin des “industries culturelles” (ça me parait un peu antinomique cette dénomination, mais passons), les chiffres semblent pourtant prouver le contraire.
Dans un article du 3 janvier 2012 de Libération (à lire ici), on apprend que 2011 a été une année record de fréquentation des salles obscures depuis 45 ans, soit 215,6 millions d’entrées et une hausse de 4,2% par rapport à 2010 (déjà exceptionnelle), avec une part non négligeable de productions françaises.

Cela semble donc confirmer que le téléchargement sur Internet d'œuvres soumises à droit d’auteur n’est pas un frein ni à la création, ni à la somme de revenus qui en découle.

Le cinéma est épargné, et alors? Tous les autres médias en pâtissent!

Ah oui?


Les séries TV en danger alors?

Le 4 janvier, les Inrocks publient un article en ligne qui laisse penser que ça n’est pas le cas non plus des séries, pourtant très présentes sur le net, puisque les audiences relevées restent importantes, voire très importante lors des diffusions TV (lesquelles permettent d’engranger des revenus publicitaires et de produire les suites, ou d’autres productions).

Les séries qui connaissent une baisse d’audience sont peut-être celles qui peinent à se renouveler (Dexter ou Desperate Housewives par exemple).


Il y a des gens qui réussissent dans le milieu sinistré de la culture sur Internet? Pas possible...

Enfin, hier matin, comme souvent j’écoutais la chronique de Guy Birenbaum sur Europe 1 et l’histoire qu’il évoquait était celle d’Amanda Hocking.

Cette jeune romancière de 26 ans est tout simplement devenue millionnaire en publiant des livres uniquement en ligne.

Ses œuvres devant être de bonne qualité (je ne les connais pas), le bouche à oreille a fait le reste et la voilà qui vend environ 100 000 livres numériques par mois sur le Kindle d’Amazon.
Le prix attractif (entre 0,99 $ et 3 $ par livre) pour le lecteur, et l’intérêt de l’auto-édition pour la romancière (elle conserve 70% des recettes) lui ont donc permis d’avoir une success story qui en font un exemple cité dans de nombreux magazines et journaux (tiens tiens, ce cas ne serait-il pas l’opposé de Lucia Extebarria?)

Bien sûr tout le monde ne peut pas avoir une carrière comme Amanda.

Pourquoi? Le talent peut-être! Ou le fait d’avoir la bonne idée au bon moment.

C’est pour ça que le terme d’industrie culturelle me pose un problème: on ne peut pas calquer une réussite personnelle et en faire un système de production dans le domaine des arts et de la culture. Ou alors on nivelle par le bas


Mais quel est donc le problème dans ce cas?

Ces articles me font donc penser que l’avènement d’internet et du téléchargement illégal ne sont pas les causes exclusives de l’écroulement (relatif) des ventes de biens culturels.
En effet, il y a un paramètre qui me parait important mais qui n’est pas souvent évoqué voire systématiquement occulté par les producteurs et éditeurs de tous genres: les habitudes et les pratiques évoluent.

Les consommateurs de biens culturels (ouh le vilain terme encore!) ne consomment plus comme leurs parents mais les industries qui se plaignent sans cesse n’ont pas voulu ou pas su anticiper ce changement.
Désormais, une grande majorité de la population est capable d’aller faire des recherches sur internet pour découvrir un artiste alors qu’avant les années 2000, la plupart des gens étaient passifs devant leur TV et/ou radio et s’intéressaient à ce qu’on voulait bien leur présenter.

Pour "sauver" la création, il vaudrait mieux penser à revoir le modèle économique de la culture plutôt que de vouloir préserver un mode de consommation qui n'est déjà presque plus d'actualité.

Les gamins de la génération internet ont quasiment toujours connu le baladeur MP3 et internet. Pour eux, le réflexe "achat de CD" n'existe pas. La musique est dématérialisée: MP3, Spotify, réseaux sociaux, blog etc...

Mais au lieu de ça, il semble que de nombreux acteurs du monde de la culture préfèrent tenter de maintenir artificiellement ce système complètement dépassé, pensant qu'il peuvent encore être les seuls maîtres à bord d'un bateau à la dérive (avec la Hadopi comme bateau phare)


Des alternatives adaptées et attrayantes?

Ce qui me fait dire que le virage internet n'a pas été compris pas les différent éditeurs et producteurs?

Il faut quand même se poser la question du prix du livre électronique, du titre mp3 ou de l’œuvre téléchargée en VOD.

Pour un livre papier, un CD ou un DVD avec packaging, on peut expliquer aisément le prix: il y a la matière première, la création du support, la production d’un certain stock, le stockage/entreposage, le transport, les intermédiaires jusqu’au distributeur qui doivent faire de la marge pour vivre, etc... Bref cela abouti a une certaine somme.

Mais pour les versions numériques, j'aimerai comprendre; une fois l’œuvre crée, la multiplication sans investissement lourd supplémentaire est possible (et facile) et seul le coût des serveurs qui l’hébergent (et un peu de marge pour les plateformes de téléchargement)  devraient logiquement aboutir à un prix moins élevé.

Et bien non, les prix ne sont pas si avantageux que ça. Pire encore, on peut se retrouver à payer pour du dématérialisé et avoir des inconvénients empêchant de profiter pleinement de son achat :

Exemples:
- les mp3 pas forcément compatibles d’un lecteur à l’autre (alors qu'un CD est lisible pour toute forme de platine)

- les fichiers téléchargés sur un support et non lisible ailleurs. ex: film téléchargé sur Xbox et lisible uniquement dessus (pareil pour certains services Freebox). Quelle régression par rapport à un DVD!!!

Dans les missions de la Hadopi, il y a notamment l'objectif de faire de la pédagogie et de chercher à développer des offres incitatives pour les consommateurs avides de culture.

Force est de constater que jusqu'à présent, ce qu'on retient de la Hadopi, c'est principalement sa mission de sanction des internautes téléchargeant illégalement.

En matière de pédagogie, seul le label PUR a été mis en place, sans grand succès à ce jour.

Donc pour un geek ou des personnes un peu au fait d'internet, différencier les plateformes légales d'un site de téléchargement illégal peut paraître évident. En revanche, les personnes pour qui internet correspond principalement à la page Google, se repérer parmi les résultats d'une recherche google n'est pas si simple.

En l'état, je pense qu'Hadopi ne résoudra rien.

C'est se tirer une balle dans le pied de commencer par la phase sanction (surtout sans rien proposer d'intéressant pour contrecarrer la tendance). Imaginez la pub que ça fait à un artiste d'attaquer SON public: car il me semble que lorsqu'on télécharge l'œuvre d'un artiste (surtout pour la musique), c'est bien par ce qu'on l'apprécie....

Je prendrai l'exemple imaginaire de Christophe Mae (ou ses représentants) qui attaquerai la gamine de 15 ans qui a "volé" son album, je pense que le reste de la famille et l'entourage ne le trouvera plus aussi sympathique (alors qu'au final la gamine fait la pub à ses parents, à ses copines, veut acheter ses posters, aller en concert, avoir sa sonnerie de portable, etc...)

De plus, de nombreuses études font apparaître que les plus gros “pirates” sont également ceux qui achètent le plus de bien culturels (bon, il existe peut-être des études qui démontrent exactement le contraire, mais je ne les ai pas lues)

En effet, le fait de mettre en avant la méthode de calcul qui vise à estimer qu'un fichier téléchargé illégalement soit autant d'argent perdu pour l'économie culturelle me parait simpliste.
J’ai le sentiment que nous n’avons jamais eu autant de choix en matière de loisirs.
Pour le même budget (proportionnel) qu’il y a 20 ans, l’éclatement des dépenses de loisirs n’est plus le même et logiquement, la part allouée à chaque média est diminuée.

Je ne suis pas économiste mais il me semble qu'en privilégiant le volume de ventes (même avec une marge moins importante) des œuvres numériques par rapport au supports matériels (et toutes les charges citées précédemment qui en découlent), les différents acteurs peuvent s'en sortir honorablement, à condition qu'il existe une certaine transparence sur la répartition des recettes (et là je pense qu'il y a du boulot).

Concernant le cinéma, on l’a vu plus haut, les majors ont beau crier au loup depuis des années, il n’y a pas, semble-t-il, péril en la demeure.

Mais à long terme, les choses peuvent changer et notamment à cause du prix: aller voir un film, même très bon, et payer 10 euros, ça calme. Alors pour une famille éloignée d’un multiplexe (trajet, nourriture), l’aventure cinématographique se révèle coûteuse.

Dans le même temps, de plus en plus de gens ont des équipements high-tech à domicile dont la qualité rivalise avec, voire dépasse, celle d'une salle de ciné.... (après il peut y avoir un débat sur le plaisir de regarder un film dans son salon ou en salle).

Ainsi, la tentation d’attendre une sortie DVD, VOD ou même en téléchargement illégal peut être forte.

Les médiathèques tuent-elles la création? l’échange et le prêt de livres, CD, films doit-il être interdit? Cela nuit-il aux différents artistes ou bien cela contribue à les diffuser par le bouche à oreille?

Ce type d’initiative consistant à échanger une œuvre pour la faire découvrir ne semble en tout cas pas plaire aux éditeurs de jeux vidéo qui sont en train d’essayer de tuer le marché de l’occasion, et en même temps le prêt, en mettant en place des systèmes de code unique.
Le risque pour tous ces gens c’est qu’à trop vouloir tirer sur la corde, ils vont tuer la poule aux œufs d’or (ou la vache à lait, c’est selon) et au final les acheteurs potentiels vont se tourner vers des solutions piratées, qui elles, n'auront pas de restrictions.

Il me vient tout d'un coup une citation d'un sketches des Inconnus parodiant des publicitaires: « il ne faut jamais prendre les gens pour des cons..... mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont »


Alors finalement, c'est un faux problème?

Malgré tout, je ne nie pas qu'il y a certainement des problèmes et qu'il ne suffit pas de crier «culture gratuite pour tous!».

Mais quand Pascal Nègre, la larme à l'œil nous dit qu’il ne pourra plus prendre de risques d’aller chercher la pépite qui sera la star de demain, j’ai un rictus.

Ce monsieur nous a quand même vendu quelques saisons de Star Academy dont le principe était justement de ne pas trop se casser la tête pour trouver un interprète qui sera tout de suite rentable car il aura sa base de fans acquise suite à l’émission.

Combien ont fait une vraie carrière ensuite? donc la découverte de talent se discute.

Là encore, on mélange aisément la création et la rémunération.

Les artistes en tout genre continueront de créer avec ou sans Hadopi. Les enfants (plus ou moins grands) continueront de s'amuser à faire des montages avec un camescope, à bidouiller des notes sur n'importe quel instrument, les écrivains en herbe ne s'arrêteront pas de noircir des pages et des pages de papier ou d'écrans d'ordinateur car c'est ça la création: des personnes qui ont des idées et les mettent en forme selon leur goûts, culture et influences.

L'autre sujet, qui finalement n'a rien à voir avec ça, c'est comment engranger des revenus de ses créations, et là c'est un tout autre problème que je n'ai pas la prétention de résoudre.


Et la réponse est..... 42!

Pour conclure, je dirai que non, le téléchargement ne tuera pas la création artistique.
En revanche, concernant la gestion des droits d’auteurs, ça me parait plus compliqué. Si les majors et distributeurs continuent de courir après leur passé glorieux sans chercher à se remettre en question, effectivement leur avenir est incertain.

Pour résumer, je dirai qu'Internet est un très bon vecteur de diffusion de la culture mais que plutôt que de le craindre, les professionnels de la culture feraient mieux d'essayer de l'apprivoiser.

Dans les années 2000, malgré le manque à gagner pour l'industrie du disque, le peer-to-peer a certainement contribué à la notoriété de certains artistes qui ont ensuite pu avoir des carrières honorables et par la même occasion des revenus conséquents.

Je ne suis pas forcément pour un far-west sur internet en termes de culture car j'y suis bien trop attaché. Mais vouloir la mettre sous cloche et la brider sous un prétexte économique ne me semble pas la meilleure solution pour laisser émerger les talents des décennies à venir (je ne parle pas d'Emma Leprince).

Des concertations avec les milieux associatifs, les réseaux locaux, les artistes alternatifs, etc... me semblent nécessaires plutôt que les tables rondes entre majors et éditeurs qui n'ont qu'une idée en tête: avoir la plus grosse part du gâteau.

Ca n'est que mon humble avis sur la question.


Sources: